Dans la dernière partie de Real Education, Charles Murray examine quelles mesures pratiques il serait possible de prendre pour améliorer le système scolaire en fonction du diagnostic élaboré dans les quatre premiers chapitres.
La condition première du changement est de renverser les priorités actuelles de l’école. Depuis une bonne quarantaine d’années nos établissements d’enseignement primaire et secondaire ont été structurés en fonction de cet objectif quasi unique : augmenter significativement les performances des élèves ayant le plus faible potentiel scolaire. Cet objectif est illusoire et devrait être abandonné.
Concrètement, ce changement de priorité devrait se traduire par les mesures suivantes.
1) Evaluer le potentiel scolaire de chaque enfant à son entrée à l’école, avec des réévaluations régulières pour éviter les erreurs de diagnostic et identifier d’éventuelles variations. Le but ne serait évidemment pas de classer les enfants dans des catégories scolaires gravées dans le marbre, mais de permettre à leurs enseignants de répondre de manière plus individualisée à leurs besoins.
2) Restaurer l’ordre dans les écoles où cet ordre a disparu. Pour cela les recettes sont fort simples et connues depuis toujours mais ont pratiquement cessé d’être appliquées, pour tout un ensemble de mauvaises raisons. Ces recettes peuvent se résumer de la manière suivante : les élèves perturbateurs ou violents seront exclus de leur école et devront chercher un autre établissement par leurs propres moyens.
Proposer une telle chose fait en général pousser les hauts cris aux belles âmes imbues de romantisme éducatif, au motif que cela reviendrait à « mettre dans la rue » un grand nombre d’adolescents. Il est vrai que, dans un premier temps, rétablir les mesures qui étaient en vigueur il n’y a pas si longtemps se traduirait par une vague d’expulsion et qu’un certain nombre d’élèves parmi les plus difficiles se retrouveraient sans établissement pour les accueillir. Mais, selon toute vraisemblance, ce nombre décroîtrait très vite : aujourd’hui bien des élèves sont perturbateurs ou violents parce qu’ils ont parfaitement compris qu’ils ne risquaient rien, ou si peu, à l’être. Par ailleurs, même si ce nombre devait rester important, le prix à payer ne serait pas particulièrement élevé : les adolescents exclus de leur établissement scolaire n’y apprenaient de toutes façons rien, dans la plupart des cas, avant d’en être exclus. Et le fait d’être scolarisés ne les gardait pas non plus « en dehors de la rue » : le genre d’activités répréhensibles qui est sous-entendu dans l’expression « la rue » a rarement lieu entre 9h et 17h, pendant le temps scolaire. En fait, dans la plupart des cas, les adolescents que l’on craint de « mettre dans la rue » y sont déjà, à toutes fins utiles.
Enfin, il faut ajouter qu’il y a quelque chose de moralement indéfendable dans le fait d’ordonner l’école autour de ses pires éléments. Ceux qui ne veulent apprendre ne devraient pas être autorisés à saccager l’avenir de ceux qui essayent d’apprendre. Or c’est pourtant ce que nous les laissons faire actuellement.
3) Recentrer l’enseignement sur les fondamentaux de la lecture, de l’écriture et du calcul, en remettant l’accent sur les exercices de mémorisation, sur la répétition, sur l’acquisition des outils linguistiques et mathématiques de base. Aucun effort particulier ne serait nécessaire pour mettre au point ces nouveaux programmes : ceux-ci existaient déjà, pour l’essentiel, il y a une cinquantaine d’années.
4) Laisser les élèves doués aller aussi vite qu’ils peuvent. Cela signifie bien sûr à terme créer des parcours différents pour ces écoliers, ce qui est la condition pour qu’ils puissent donner le meilleur d’eux-mêmes, dans un environnement qui les stimule au lieu de les freiner comme aujourd’hui.
L’objection immédiatement opposée à une telle proposition est que mettre à part les meilleurs éléments revient à « stigmatiser » tous les autres et à les « dévaloriser » à leurs propres yeux.
Cette objection méconnait la réalité de la vie scolaire : les adultes n’ont tout simplement pas la possibilité de cacher aux enfants leurs différences de capacités intellectuelles. Ceux-ci savent très vite à quoi s’en tenir sur les uns et les autres. Dans une classe qui mélange des écoliers de potentiels scolaires très inégaux, ces différences sont mises en valeur par la mixité, et non pas dissimulées. Si l’instituteur ou le professeur interroge également tous les élèves, ceux-ci sauront bientôt qui répond habituellement et qui n’y arrive pas. Si l’instituteur ou le professeur n’interroge que les meilleurs élèves, pour ne pas embarrasser les autres, tout le monde saura très vite pourquoi certains ne sont jamais interrogés. Dans tous les cas de figure possible les moins bons éléments seront « stigmatisés », d’une manière ou d’une autre, c’est à dire que leurs déficiences seront connues de leurs camarades.
Vouloir freiner les meilleurs écoliers sous prétexte de ne pas blesser l’amour-propre de leurs camarades moins doués est à la fois inutile, et cruel pour ceux que l’on tire ainsi en arrière.
Mais, dira-t-on encore, laisser entre eux les élèves les moins doués – conséquence nécessaire de laisser chacun aller à son rythme - ne va-t-il pas les tirer vers le bas ? Ne feraient-ils pas plus de progrès s’ils étaient dans un environnement plus stimulant, c'est-à-dire mélangés avec de plus doués qu’eux ?
Cette objection a une apparence de bon sens car aujourd’hui les classes où se trouvent concentrés les plus mauvais écoliers sont aussi, presque toujours, les classes dans lesquelles il est pratiquement impossible d’apprendre et d’enseigner.
Mais cela n’est vrai que parce que nous avons renoncé à employer les moyens qui permettraient de faire régner l’ordre et le calme dans les salles de cours. Par conséquent, inévitablement, les classes établies sur la base du niveau scolaire mélangent ceux qui ont des difficultés à apprendre et ceux qui ne veulent pas apprendre, et qui sont bien décidés à empêcher les autres de le faire. Dans de telles conditions il est vrai qu’il est préférable pour un enfant ayant un faible potentiel scolaire, mais discipliné et travailleur, de se retrouver avec de meilleurs que lui, car cela signifie qu’il sera dans un environnement plus propice au travail.
Dès lors que les éléments violents et perturbateurs auront été exclus de l’école, ou ramenés, à la raison par la crainte de l’être, ce bénéfice de la mixité disparaitra. Or c’est là le seul vrai bénéfice qu’elle peut procurer. L’intelligence ne s’acquiert pas par imprégnation, et faire asseoir huit heures par jour un écolier médiocre à côté d’un écolier doué n’augmentera jamais d’un iota le potentiel scolaire du premier. Au contraire, l’humiliation quasi quotidienne qu’entraine la mixité pour les moins doués risque bien de les décourager et de leur faire prendre en grippe l’école, et l’apprentissage en général.
5) Apprendre à tous ceux qui n’ont pas le potentiel pour faire des études supérieures comment gagner leur vie.
Ceux qui sont destinés, du fait de leur faible potentiel scolaire, à entrer rapidement sur le marché du travail, représentent au bas mot les deux tiers des élèves (le dernier tiers comprenant ceux qui ont le goût et les capacités pour rentrer au College/à l’université, et ceux à qui conviendront mieux des études supérieures à visée directement professionnelle). Un système scolaire authentiquement démocratique devrait se préoccuper de ce qui serait vraiment bon pour ceux qui constituent l’immense majorité des élèves. Au lieu de cela, l’Education Nationale semble s’ingénier à leur rendre la vie aussi difficile que possible, en les poussant à rester dans une voie qui ne peut rien leur apporter et en refusant le type de mesures qui leur seraient bénéfiques.
Apprendre à un élève médiocre ou moyen comment gagner sa vie signifie essentiellement deux choses : lui donner une qualification monnayable sur le marché du travail, et lui inculquer les comportements nécessaires pour trouver et garder un emploi. Pour l’essentiel, l’école ne fait aujourd’hui ni l’un ni l’autre.
Tous les employeurs du monde recherchent des candidats qui se montreront fiables, ponctuels, capables de s’intégrer sans heurt à une équipe, et désireux de travailler dur. L’école pourrait grandement aider à acquérir ces comportements, mais cela supposerait de se montrer strict sur la tenue, la ponctualité et les devoirs, de sanctionner sans faiblesse les manquements à la discipline et les absences, bref cela supposerait de faire à peu près l’inverse de ce qui se passe actuellement dans les établissements et les classes où se trouvent concentrés les élèves à faible potentiel.
Tous les employeurs recherchent aussi des candidats ayant des qualifications en rapport avec l’emploi à exercer. De ce point de vue, aux Etats-Unis comme en France, l’enseignement technique laisse souvent à désirer. Le manque de ressources est parfois en cause, mais le principal problème auquel doit faire face cet enseignement est le caractère de dépotoir qu’il revêt trop souvent aujourd’hui. Parce que tous les acteurs du système scolaire cherchent à faire rester dans l’enseignement général, et à pousser vers le supérieur, le plus d’élèves possible, ceux qui se dirigent vers l’enseignement technique sont presque toujours les plus déficients intellectuellement et les moins disciplinés.
Tant que cet état de fait perdurera, un diplôme de l’enseignement technique continuera, la plupart du temps, à agir comme un signal d’alarme pour les employeurs, et à les détourner des candidats issus de cet enseignement. Les employeurs continueront aussi à se désintéresser de l’enseignement technique, alors qu’il serait vital qu’ils s’en rapprochent pour que les formations dispensées correspondent à la demande du marché du travail.
En définitive, la première condition pour redonner à l’enseignement technique la place qui devrait être la sienne est aussi la plus difficile : l’abandon du romantisme éducatif selon lequel tous les enfants naissent fondamentalement égaux du point de vue de leur potentiel scolaire.
Comment tous ces changements pourraient-ils survenir ?
Charles Murray ne pense qu’il soit raisonnable d’attendre qu’un vaste système éducatif, centralisé, mette un jour en œuvre les mesures qu’il a proposées, et il parait difficile de lui donner tort. Toutes ces mesures sont, pour une raison ou pour une autre, politiquement trop sensibles pour pouvoir être appliquées nationalement, par une décision issue du sommet.
Tout espoir n’est pas pour autant perdu car chacune d’entre elles est susceptible de trouver des soutiens auprès des enseignants, auprès de parents, auprès des élèves même. La clef est alors de permettre à ceux qui seraient prêts à changer le fonctionnement de l’école de le faire, à leur niveau, et sans exiger que tout le monde marche du même pas.
Augmenter la liberté de choix en matière scolaire parait la seule manière, à terme, de ramener nos écoles à la réalité.
De ce point de vue, la situation des Etats-Unis est incontestablement plus prometteuse que celle de la France, car les traditions d’autonomie locale y sont fortes et les citoyens américains sont encore largement imprégnés de cette idée, exprimée sous forme de boutade par le Président Reagan, que « les mots les plus dangereux de la langue anglaise sont : je suis ici de la part du gouvernement et je viens pour vous aider ». Tout le contraire, donc, de la France.
Mais même en France le changement est inévitable. L’Education Nationale meurt de son gigantisme, l’Etat meurt de son endettement : même si personne ne désirait le changement, celui-ci finirait néanmoins par se produire, d’une manière ou d’une autre. Il n’est pas possible de tricher éternellement avec la réalité. L’écroulement annoncé suscite légitimement des inquiétudes, mais il pourrait aussi être porteur d’espoir s’il était l’occasion de rebâtir notre école sur des bases plus saines.
L’une des conditions pour qu’il en soit un jour ainsi est de dire la vérité, inlassablement.